samedi 6 juillet 2013

Economie numérique : la France classée en 2013 au 26ème rang mondial par le Forum de Davos

La position de la France dans le secteur de l’économie numérique continue de se dégrader. En 2009 la France était classée en 18ème position par le World Economic Forum. En 2011 elle avait glissé à la 20ème place. En 2013 la dérive est confirmée avec une descente au 26ème rang. Ce dévisage était prévisible. C’est la conséquence d’une série d’erreurs stratégiques faites depuis de nombreuses années notamment par les gouvernements successifs mais aussi par les nombreuses entreprises intervenant dans le domaine de l’économie numérique sans compter les universités et les grandes écoles. A force de ne pas apprécier correctement les enjeux, on finit par prendre des mesures prises sont peu efficaces, voir contre-productives. Il serait temps de prendre au sérieux l’économie numérique.  

Le classement du World Economic Forum

Le World Economic Forum sait le rôle stratégique de l’économie numérique et effectue tous les ans une étude cherchant à évaluer le degré de maturité des différents pays du monde dans ce domaine (Voir sur ce blog le message du 19 mars 2012 : " Leclassement informatique du World Economic Forum : Une triste réalité" ). Cette étude est faite en collaboration avec l’INSEAD. Le rapport « Global Information technology Report 2013 » peut être librement téléchargé. Je ne peux que vous inciter à lire et étudier ce rapport riche en enseignements.

1er page du rapport  du World Economic Frum sur les TIC
 Il porte cette année sur 144 pays. On aurait aimé de constater les progrès de notre pays grâce aux plans Besson 1 et 2 (Voir sur ce blog le message du 14 Janvier 2012 : « Besson, le retour : le nouveau plan de développement de l’économienumérique (2012-2020 »). Le résultat est décevant. Non seulement la position de la France ne s’améliore pas mais elle se dégrade.
Par contre il est trop tôt pour porter un jugement sur l’impact du plan de Fleur Pellerin car sa « feuille de route » date du mois de février 2013 (Voir sur ce blog le message du 11 avril 2013 : « Est-ce le début du commencement ?»). On verra l’an prochain si elle a eu un impact et quel est son ampleur.
Pour mesurer le degré de maturité le World Economic Forum mesure un indicateur global : le NRI : Networked Readiness Index reposant sur 54 paramètres classés en 4 domaines. Ils concernent :
·    Les infrastructures des TIC, les coûts d’accès aux réseaux et la disponibilité des compétences requises pour un usage optimal ;
·     L’acceptation et l’utilisation des TIC par les gouvernements, l’économie et la population ;
·      Le contexte économique et le climat novateur, le cadre politique et réglementaire ;
·      L’impact économique et social des TIC.

La valeur de l’indicateur du premier du classement, la Finlande, est égal à 5,98, alors que le dernier est la Burundi classé 144ème avec un montant de seulement 2,30. Celui de la France est égal à 5,06 encadrée par ceux des Etats Arabes Unis et de l’Irlande. Les pays voisins du notre ont des index nettement supérieurs au notre. Ainsi l’Allemagne est à 5,43 et se trouve classée en 13ème place et la Grande Bretagne avec une note de 5,64 est en 7ème place. En se classant en 26ème place la France est bien en situation fragile et de plus celle-ci se dégrade rapidement.

Le classement des 144 pays 
Les premiers de la classe

L’analyse des pays en tête du classement est très intéressante. En le comparant au classement de 2012 on constate que ce sont presque toujours les même Etats, seul l’ordre entre eux change. La Finlande qui était 3ème devient la 1er du classement et, à l’inverse la Suède passe de la 1er à la 3ème place. Il est frappant de constater que sur les dix premiers pays du classement sept sont européens et ce sont tous des états de l’Europe du Nord ou assimilé : la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse, la Grande Bretagne et le Danemark. Il n’y a aucun pays de l’Europe du Sud en tête de ce classement !

Le hit-parade des Etats ayant le meilleur indice NRI
Dans la liste des dix premiers on note la sortie du Canada qui était 8ème position en 2012 et passe au 12ème rang en 2013. A l’inverse en 10ème place apparaît Taïwan qui était avant au 11ème rang.
On notera dans ce classement que Singapour était l’an passé en 2ème place et le reste. Quant aux USA ils perdent une place et passent du 8ème au 9ème rang. Comme on le voit les mouvements sont de faibles amplitudes. Il y a cependant l’exception de la Grande Bretagne qui gagne trois places en passant du 10ème au 7ème rang.
On notera que juste après les pays de l’Europe du Nord on trouve assez regroupé les Tigres Asiatiques : Singapour (2ème), Taïwan (10ème), la Corée du Sud (11ème) et Hong-Kong (14ème). Manifestement ces pays ont réussi à développer des approches efficaces et ont effectués les investissements nécessaires dans le domaine des TIC. On notera que le Japon se détache des Tigres pour être relégué en 21ème place.
Dans l’ensemble on constate que les changements d’une année sur l’autre sont minimes et se traduisent par de faibles mouvements. Manifestement les pays leaders ont trouvé la bonne formule et ils l’appliquent avec régularité.

Les médiocres et les traînards

Quand on compare les états de l’Europe du Nord et l’Europe du Sud on constate des différences significatives. Les pays de l’Europe du Nord sont classés entre la 1er et la 8ème place à l’exception de l’Allemagne qui se trouve au 13ème rang, le Luxembourg en 16ème, l’Autriche en 19ème et la Belgique en 24ème position (2 places avant la France).
L’Europe du Sud commence à partir de la 26ème place avec la France, puis l’Espagne (38ème), le Portugal (33ème), l’Italie (50ème), la Grèce (64ème),…. Il y a manifestement en Europe deux approches différentes des TIC. L’Europe du Nord fait les bons choix, réalise les bons investissements, dégage une contribution significative des TIC à l’augmentation de la valeur ajoutée et crée de nombreux emplois qualifiés. Les autres ont plus de mal à dégager des résultats significatifs.
Il est à noter que les BRICS, qui sont habituellement présentés comme les espoirs de la croissance de demain, se situent dans le classement du WEF entre la 50ème et la 70ème place : Brésil (60ème), Russie (54ème), Inde (68ème), Chine (58ème) et l’Afrique du Sud (70ème). Manifestement ces pays, qui sont censés prendre dans les années à venir le relais des pays développés, seront tôt ou tard freinés par leurs retards dans le domaine des investissements en TIC.
Les pays se trouvant dans la deuxième partie du tableau (à partir du 73ème rang) sont pour l’essentiel des états d’Afrique, d’Amérique Latine ou d’Asie comme l’Argentine (99ème), l’Iran (101ème), le Pakistan (105ème), le Venezuela (108ème), le Nigéria (113ème), le Bengladesh (114ème), l’Algérie (131ème), … Ces états n’ont pas de politique claire dans le domaine des TIC et n’ont pas effectué les investissements nécessaires. Ils sont pénalisés par leur faible niveau de leur PIB et par le médiocre niveau de leurs investissements. Dans ces conditions ils auront beaucoup de mal à bénéficier des avantages des TIC dans les années à venir.

La notation des quatre domaines

L’Index NRI est basé sur 54 variables dont 27 sont des indicateurs quantitatifs et les 27 autres proviennent d’une enquête faite auprès d’un large panel de décideurs. Ils sont regroupés dans quatre domaines qui se décomposent en 10 piliers :
·       L’environnement
o     L’environnement politique et la régulation, 9 indicateurs : l’efficacité des lois, les lois relatives aux TIC, l’indépendance de la justice, l’efficacité du système légal, le taux de piratage,…
o   L’environnement des affaires et l’innovation, 9 indicateurs : la disponibilité des dernières technologies, l’existence du capital venture, le montant des taxes par rapport aux profits, le nombre de jour pour créer une nouvelle entreprise, le pourcentage d’étudiants de l’enseignement supérieur,…
·       La facilité à mettre en œuvre
o   Les infrastructures et les contenus digitaux, 5 indicateurs : le taux de couverture des réseaux mobile, la bande passante disponible, le nombre de serveurs internet sécurisés,…
o   La facilité d’accès, 3 indicateurs : les tarifs des mobiles et de la bande passante Internet fixe, la compétition dans le secteur d’Internet et de la téléphonie.
o   Les compétences, 4 indicateurs : la qualité du système d’éducation notamment en math et en science, le pourcentage d’enfants suivant l’enseignement secondaire et le pourcentage d’adultes sachant lire et écrire.
·       Les usages
o   Les usages individuels, 7 indicateurs : le pourcentage de téléphone mobile, de personnes utilisant Internet, de ménages ayant un ordinateur, de ménages ayant un accès à Internet,…
o   Les usages dans l’entreprise, 6 indicateurs : la capacité des entreprises à prendre en compte la technologie, sa capacité d’innovation, le nombre de brevets, l’usage d’Internet en BtoB et en BtoC, la formation des salariés.
o   Les usages de l’administration, 3 indicateurs : la vision des TIC par le gouvernement, le nombre de services en ligne, le succès de la promotion des TIC par le gouvernement.
·       L’impact
o   Les impacts économiques, 4 indicateurs : l’impact des TIC sur les nouveaux services et les produits, les brevets concernant les applications des TIC, l’impact des TIC sur les nouveaux modes d’organisation, le poids des effectifs concernés par les activités de connaissances.
o   Les impacts sociaux, 4 indicateurs : l’emploi des TIC pour faciliter l’accès aux services de base, l’accès Internet dans les écoles, l’efficacité de l’informatique publique et un indice pour évaluer l’e-participation.
Comme on le voit ces indicateurs couvrent un large domaine. Cependant, il manque, à mon avis, quelques indicateurs significatifs tel que le montant et la rentabilité des investissements effectuées dans le secteur des TIC, la valeur ajoutée crée par ces investissements, le poids des investissements dans les TIC par rapport au total des investissements des entreprises, les effectifs informatiques et ceux concernés par les systèmes d’information,….

Les raisons du mauvais positionnement de la France

Comme nous l’avons vu la France ne se trouve pas dans le peloton de tête mais plutôt dans le lot des pays ayant des indicateurs médiocres et de plus, depuis 2009, sa position ne cesse de se dégrader. On se rappellera que cette situation fait suite à une légère remontée de la 23ème à la 18ème place entre 2006 et 2009. A cette époque le développement de l’économie numérique était considéré comme une priorité nationale. Mais, manifestement elle n’a pas résisté à la crise et le secteur des TIC en France l’a subit de manière plus significative que d’autres pays.
En fait la valeur du NRI de la France est très stable dans le temps. Il a aujourd’hui la même valeur qu’en 2007 : 5,1. Il a même légèrement augmenté en 2008 à 5,2 puis il est retombé à 4,9 en 2010. En fait, ce qui a changé ce n’est pas l’index de la France mais ceux des autres pays qui ont profité de l’après-crise pour effectuer des efforts importants dans le domaine des TIC et ainsi améliorer leur position concurrentielle.

Fiche d'évaluation NRI de la France en 2013
Si on analyse en détail la fiche de la France (page 183 du rapport) on s’aperçoit que notre pays est mal positionné dans les quatre domaines identifiés tout particulièrement dans celui de l’environnement (27ème) et la facilité de mise en œuvre (26ème). Elle est par contre moins mal située dans le domaine des usages (22ème) et dans celui de l’impact (20ème), sans que ce soit pour autant brillant. On notera que ces deux derniers domaines dépendant moins de l’Etat que les deux premiers qui dépendent directement des politiques publiques mises en œuvre.
Si on pousse l’analyse au niveau des dix piliers on constate que trois sont particulièrement fragiles :
·       La facilité de mise en œuvre : 86ème. Ceci est dû aux tarifs des télécommunications notamment ceux des mobiles qui sont trop élevés,
·     L’environnement des affaires et l’innovation : 39ème. Plusieurs facteurs expliquent cette situation notamment le poids des taxes sur les bénéfices, la faible activité du venture capital, le faible niveau des achats publics dans les nouvelles technologies et le nombre limité d’étudiants dans l’enseignement supérieur,
·       L’impact social : 32ème. Ceci est dû au faible usage d’Internet dans les écoles et l’emploi limité des TIC pour faciliter l’accès aux services de base.
Comme on le voit il serait assez simple de corriger ces faiblesses, il suffit d’en avoir la volonté. Heureusement à côté de ces points faibles il y a quelques points forts :
·       Les impacts économiques : 17ème. On note l’impact positif des TIC sur les nouveaux services et les produits et les brevets concernant les applications des TIC.  
·        Les usages dans l’entreprise : 18ème. Ceci est dû à la capacité d’innovation et le nombre de brevets.
Mais ces quelques points forts ne sont pas suffisants (en nombre et en niveau) pour contrebalancer l’effet des nombreux points faibles.

Se comparer aux meilleurs

Si on compare la France et la Finlande, 1ère du classement, on constate une différence fondamentale : la France a peu de points d’excellence et un nombre significatif de points faibles. Elle n’a qu’un seul indicateur sur 54 classée  1er et aucun indicateur se trouvant entre la 2ème à la 4ème place. La Finlande, au contraire, a 18 indicateurs dans les quatre premières places dont 4 sont classés premiers. Elle a aussi des points faibles mais ils sont nettement moins nombreux que ceux de la France. La Finlande a ainsi 5 indicateurs situés au-delà du 40ème rang alors que la France en a 12.

Fiche d'évaluation de l'indice NRI de la Finlande en 2013

La comparaison entre la France et la Finlande, mais aussi les autres pays situés parmi les dix premiers du classement, montre que la situation française est grave mais elle n’est pas pour autant désespérée. La plupart des faiblesses constatées sont dues à des choix politiques inadaptés. Il faut arrêter de distribuer des sucres d’orges à tous les lobbys et fixer des priorités claires permettant d’améliorer l’impact des TIC sur l’économie. Dans ces conditions on peut s’interroger sur les choix de la « Feuille de Route » de Fleur Pellerin et ses 18 mesures. Est-ce qu’en mobilisant 20 milliards d’euros sur la généralisation de la fibre optique jusqu’au domicile de 53 % de la population on va significativement améliorer la position de la France dans le classement (Voir sur ce blog le message du 11 avril 2013 : « Est-ce le début ducommencement ?»). Il existe peut-être des mesures moins coûteuses permettant d’améliorer la bande passante disponibles. L’idée de remplacer en quelques les millions de kilomètres de fils de cuivre par de la fibre optique est typiquement un plan suggérer par une entreprise et renforcée par un lobby puissant pour affirmer son pouvoir sur ses concurrents et imposer des prix déraisonnables.

Et maintenant que faire ?

Dans ces conditions que devrais faire un gouvernement soucieux d’améliorer la situation des TIC ? On s’était déjà posé la question l’an passé (Voir sur ce blog le message du 19 mars 2012 : « Le classement informatique du WorldEconomic Forum : une triste réalité »). Je m’étais alors permis quatre suggestions :
1.      Ne pas hésiter à s’inspirer des pays voisins se trouvant en tête du classement comme la Suède, la Finlande, la Suisse ou le Danemark. Il n’y a pas de honte à copier les bons éléves.
2.      Améliorer l’environnement économique et notamment en simplifiant le contexte administratif et réglementaire tout particulièrement en luttant contre les nombreux dysfonctionnements de la justice commerciale et de son administration. 
3.      Avoir une politique publique positive en faveur des TIC basée sur une vision claire de l’impact des TIC sur le développement économique. Il faut faire connaître les succès et diffuser les bonnes pratiques.
4.      Réduire la tarification des télécommunications. L’action de Free dans le domaine du téléphone mobile est un premier pas mais il y a encore des progrès importants à réaliser dans ce domaine.
A cette liste je me permets d’en ajouter deux autres (Voir sur ce blog le message du 4 octobre 2012 : «Pour un plan de développement de l’économie numérique ») :
5.      Inciter les entreprises moyennes et grandes à investir dans les TIC. Tous les plans publics misent sur les PME mais, en règle générale, les petites entreprises investissent peu, font peu de recherche-développement et ont du mal à trouver des financements pour se développer. Il faut au contraire miser sur le rôle des grandes entreprises. Le succès des Apple, Samsung, Huawei, Google,… montre la voie à suivre.
6.      Favoriser les capacités des entreprises à l’exportation. Les entreprises françaises du secteur de l’informatique sont traditionnellement peu orientées vers l’exportation. Pour les aider à agir plus efficacement il est souhaitable de favoriser les coopérations entre les entreprises. Les grandes entreprises industrielles et commerciales présentes sur le marché mondial doivent être incitées à intervenir dans ce domaine et faciliter la présence au niveau mondial des PME du secteur de l’économie numérique.
On pourrait multiplier les mesures possibles mais ce qui manque réellement c’est la volonté d’agir de l’Etat mais aussi des entreprises concernées. Que ce 26ème rang peu glorieux leur donne la volonté d’agir !

Voir sur le même sujet sur ce blog :"Le classement informatique du World Economic Forum : Une triste réalité", paru le lundi 19 mars 2012, "Le Classement du World Economic Forum 2014 : France est-ce la fin de la chute ?" paru le vendredi 2 mai 2014 et "Le Classement du World Economique Forum 2015 : La France perd une place" paru le mercredi 10 juin 2015.

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